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Abbaye Notre Dame d Acey

Homélie du samedi 26 janvier 2019 Solennité des Saints Fondateurs de Cîteaux par Don Jean-Marc

N-D d’Acey, samedi 26 janvier 2019

Solennité des Saints Fondateurs de Cîteaux 2019

 

Siracide 44, 1.10-15            Hébreux 11, 1-2.8-17            Jean 15, 9-17            Homélie de P. Jean-Marc

 

La réforme monastique engagée par nos pères en 1098, malgré ce que semblent dire les textes primitifs (ou ce qu’on leur fait dire), ne consista pas à fuir une vie plus ou moins relâchée et décadente, mais à instaurer un autre type de démarche spirituelle.

Il s’agissait, en ce XI° siècle finissant, où triomphait le modèle clunisien devenu rigide et étouffant, de se débarrasser du poids excessif des observances et d’une liturgie hiérarchisée et ritualisée à l’extrême, pour enfin respirer au souffle de l’Esprit et permettre au cœur d’aimer librement. C’est bien d’une conversion qu’il s’agissait, non pas tant pour sortir des ornières de la tiédeur et de la médiocrité que pour passer à un autre mode de relation avec Dieu.

On peut ainsi parler du passage d’une logique de capitalisation à une logique de dépouillement. La première (capitalisation) insiste sur le faire… toujours plus… pour Dieu, bien sûr. C’est la logique de l’homme riche de l’Évangile qui pose à Jésus la fameuse question : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Sous-entendu : « Que dois-je faire de plus… que dois-je ajouter à ma pratique religieuse… alors que depuis ma jeunesse j’ai observé les commandements. » Et Jésus de lui répondre que ce qui lui manque, à lui l’homme riche de biens, de vertus et de pratiques religieuses, ce n’est pas d’ajouter mais de retrancher, non pas d’acquérir mais de perdre : « Va, vends ce que tu possèdes, donne-le au pauvre. Et tu auras un trésor au ciel. » Vends ce que tu possèdes… ou plutôt : ce qui te possède, ce qui t’encombre et étouffe ton cœur… ce qui t’entrave et t’empêche d’être libre pour suivre le Christ, libre pour accueillir l’amour du Père et en vivre. Notre Dieu est un feu dévorant qui ne s’offre qu’à celui qui a une âme de pauvre.

Nous savons bien, qu’aujourd’hui comme à toutes les époques, il est des générosités religieuses qui peuvent aboutir aux pires excès. Hier, la fête de la Conversion de Saint Paul nous rappelait que sous prétexte de glorifier Dieu, le zélé pharisien était devenu un persécuteur fanatique. Mais, Dieu soit béni, en lui sa grâce a triomphé : «  Tous les avantages que j’avais, je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte. Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu […] afin de gagner un seul avantage, le Christ. » (Ph 3, 7ss)  

Lorsque sous la conduite de l’Abbé Robert, le petit groupe de moines bénédictins quitta le cadre relativement paisible et protégé de Molesme pour s’enfoncer dans le désert de Cîteaux, ce n’était pas par désir d’exploit ascétique mais d’authenticité. Authenticité devant être entendu au sens de ce qui se réfère à l’origine et en témoigne. Et, bien évidemment, pour les fondateurs de Cîteaux, “l’Origine” c’est le Christ « reflet resplendissant de la gloire du Père, expression parfaite (authentique) de son être. » (Hb 1, 3) Il s’agissait donc pour nos Pères de s’engager dans un exode à la suite du Christ, nouveau Moïse, et avec lui, en lui, par lui d’abandonner les sécurités humaines pour parvenir au lieu des Noces.

Mais s’engager sur un tel itinéraire n’était nullement gage de réussite !… C’est bien ce qui se produisit puisque durant de nombreuses années nos Pères, loin de connaître le succès espéré, furent douloureusement éprouvés en ne voyant pas advenir la relève espérée. Mais ils tinrent bon, “espérant contre toute espérance”, comme il est dit d’Abraham et des patriarches.

Le témoignage que nous devons leur rendre, c’est leur foi. Une foi longuement passée au crible du discernement et de l’épreuve, mais qui, purifiée au creuset de la vie fraternelle et fortifiée par l’écoute assidue de la Parole de Dieu, les maintint fermes dans leur propos. Puissions-nous, nous aussi “leur descendance”, qui avons part au même charisme, demeurer fidèles à ce qu’ils nous ont transmis “en persévérant dans les lois de l’Alliance” par notre commune louange et “le bon zèle” que Saint Benoît nous demande d’exercer entre nous “avec toute la ferveur de l’amour.” (RB 72, 3)

Aujourd’hui le contexte social et ecclésial dans lequel nous évoluons est certes tout autre que celui de nos Pères. Il n’est cependant pas sans points communs puisque leur époque, comme la nôtre, fut une époque de transition marquée par de profondes mutations culturelles. C’était la fin de l’époque féodale et l’émergence d’un monde nouveau que les contemporains auraient été bien incapables d’imaginer.

Malgré bien des inconnues et des incertitudes il nous faut, comme nos Pères, demeurer à l’écoute de ce que l’Esprit veut nous dire aujourd’hui, et y consentir en n’oubliant jamais (selon les mots mêmes de Jésus entendus il y a un instant dans  l’Evangile) que ce n’est pas nous qui avons choisi le Christ, mais que c’est lui qui nous a choisis et établis, afin que nous allions, que nous portions du fruit et que notre fruit demeure. (cf. Jn 15, 16)

« Ainsi donc, nous aussi, qui sommes entourés d’une telle nuée de témoins, rejetons tout fardeau et le péché qui sait si bien nous assaillir, et courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les regards fixés sur Jésus qui est l’initiateur de la foi et qui la mène à son accomplissement. » (He 12, 1-2)

 

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