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Abbaye Notre Dame d Acey

Homélie de Dom Godefroy pour le 3e Dimanche de l’Avant -B- Dimanche de « Gaudete » (13 décembre 2020)

Entrée

 « Réjouissez-vous ! » cette invitation de saint Paul dont nous entendrons un parallèle dans la 2e lecture -« Soyez-toujours dans la joie »-, donne le ton et le nom traditionnel de ce 3e Dimanche de l‘Avent dit de Gaudete –qui à même une couleur liturgique propre : le rose… et je me réjouis que notre garde-robe en soit dépourvue ! Toute cette liturgie dominicale est bien une invitation répétée à la joie — tous les textes se ligueront pour nous mettre au diapason de cette joie. Une insistance bien nécessaire -nous avons tant de raisons de récuser la joie, n’est-ce pas ? Il faudra le cri du Baptiste, le chant de Marie, toute la force de l’Esprit pour vaincre ce climat anxiogène, cette chape d’inquiétude, cette pandémie de tristesse qui envahit notre monde et pétrifie nos cœurs. L’impératif de Paul n’enjoint ni une méthode Coué, ni un sursaut volontariste, il nous invite à accueillir un DON, un cadeau, une grâce. Car Il VIENT, Il est tout proche, celui qui SEUL est notre espérance, qui est la source de toute Joie et vient réveiller la nôtre.

Avec un cœur d’enfant, entrons dans cette eucharistie, ce « Noël de chaque dimanche » dont Pâque nous a fait Don. Et commençons par descendre au bord de ce Jourdain où Jean le Baptiste nous convoque, ce lieu de la conversion, ce seuil de la joie, en nous rappelant les mots de Bernanos : la seule tristesse c’est de n’être pas des saints. Inclinons nos cœurs, plus encore que la tête, et entrons avec Jésus dans la fête.

Homélie

 Frères et Sœurs, ce dimanche, « Il y a de la joie dans l’air » : c’est comme un frisson de joie qui saisit la Parole. Je tressaille de joie dans le Seigneur (Isaïe)… Exulte mon esprit (Ps-Magnificat)… Soyez toujours dans la joie (Paul)…  « Il y a de la joie dans l’air, et ça m’a bien l’air d’être Quelqu’un »… pourrait-on dire en plagiant un poème de F. Christophe de Tibhirine (il parlait de « l’amour dans l’air », mais il s’agit bien du Même !). Car la Joie c’est quelqu’un. Il est temps de nous en souvenir à quelques 12 jours de sa naissance.

 « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. »  Vous avez reconnu les premiers mots du Pape François dans son encyclique programmatique La Joie de l’Evangile. il ajoutait : ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement… »  Et on ne peut qu’être frappé de voir comme il a mis la joie au centre de son pontificat, de son enseignement, au centre de sa vie. Il nous rappelle avec force qu’elle n’est pas un à-côté de l’existence chrétienne, un saupoudrage, ou une cerise sur un gâteau confit de piété, mais elle en est le cœur, puisque la Joie c’est Quelqu’un, c’est Jésus. Elle vibre, tressaille en nous de cette rencontre toujours nouvelle avec le Christ. La tristesse naît de l’absence de Jésus, du refus de l’Esprit qui est Jésus-Donné-Aujourd’hui. Oui, voici qu’en ces jours d’Avent, nos tristesses sont menacées… par la Joie !

C’est aussi pour cela que cette Joie est un indice, une boussole, un guide sûr dans notre vie spirituelle, dans ce travail de discernement si nécessaire aujourd’hui, auquel nous renvoyait saint Paul. Rappelons-nous du fruit de l’Esprit : amour, JOIE, paix, patience… Bien sûr il y a des contrefaçons de la joie -nos enfantillages, nos ricanements, nos joies qui piétinent les petits affligés par le malheur, nos rires triomphant qui confessent bruyamment l’éphémère de notre force, etc. Mais toutes ces parodies laissent un arrière-goût d’amertume, de tristesse. La Joie, la vraie, est pur Don, c’est la Joie souveraine que promet Jésus aux disciples, la « joie sans cause » [entendons sans cause « mondaine »] dont parle saint Ignace, c’est la Joie de Pâque qui perce la tristesse de ce monde fêlé, déchire son voile de deuil, par la brèche de la Croix. Ne nous étonnons pas trop de trouver la Croix sur notre route vers Bethléem : en sa face lumineuse -celle du Don inauguré par l’Incarnation- n’est-elle pas le sommet de la Joie du Christ, la Pâque désirée d’un grand désir ? Alors contemplons et laissons-nous attirer par Celui qui par ses abaissements de la crèche à la Croix, n’a de cesse de nous introduire dans sa Joie en plénitude. Oui, il nous faut donc consentir à la Joie d’un Autre, la recevoir Celui que F. Christophe appelle ma Joie blessée, de Celui dont la Joie est si vaste et si haute, qu’elle ne craint ni larmes ni souffrance, car elle embrasse toutes les blessures de notre monde.

La joie qui vient cherche pour se répandre des témoins/ des passeurs. Et ce temps de l’Avent- de l’éveil à la joie, nous en offre deux, deux passeurs de joie :  Marie bien sûr, Mère de notre Joie, elle qui a répondu de tout son être à la Parole de l’Ange : « Réjouis-toi ! » (le Magnificat d’aujourd’hui précède, devance l’Heure, de cette annonciation que nous entendrons Dimanche prochain). Sans trop y insister, je recueille aujourd’hui de ce Magnificat une invitation à cultiver la mémoire et les chemins de notre joie, ses appuis, particulièrement dans notre lectio, notre lecture orante, savoureuse, amoureuse de l’Ecriture. Le chant de Marie (car la Joie se chante !), bondit de verset en verset : il est tissé d’une quarantaine de citations de notre Ancien Testament, la mémoire de l’espérance d’Israël que Marie habite, incarne. Certes le Don est toujours neuf, toujours nouveau en son advenue et sa brèche de grâce, mais quand la nuit s’épaissit il est bon de nous rappeler que notre cœur a déjà été visité de joie, qu’il y a de la lumière après la nuit.

Et le second témoin est donc le Baptiste. Extraordinaire figure, à la charnière des temps nouveaux, vigoureuse s’il en est : pour ébranler nos citadelles d’amertumes, de peurs, de tristesse, il ne faut pas moins que la voix du CRIEUR au désert, qui nous baptise dans le désir du Verbe. Le précurseur est le témoin auroral de la joie-Lumière, celle dont il portait l’empreinte depuis la Visitation où il avait tressailli de joie dans le sein d’Elisabeth -Joie dont il a gardé, cultivé la SOIF au désert. Il la reconnaît, bien des années après, qui pointe dans l’Evangile-Jésus. Le Baptiste nous était déjà apparu il y a 8 jours, sur notre chemin d’Avent, au commencement de l’Evangile de Marc et le revoilà aujourd’hui chez Jean, où il a trouvé place dans le Prologue solennel, avec cette mention inouïe : afin que tous croient par lui. Par son incise de quelques versets dans le poème théologique inaugural, Jean enracine le témoignage du Précurseur à sa Source, au cœur-même du Mystère trinitaire et nous immerge/baptise dans cet indicible commencement, où est le Verbe Lumière, la Parole d’Amour jaillissant du Père et tournée vers Lui, qui se tourne vers nous. Il y eut un homme… son nom était Jean…. Il n’était pas la lumière mais était envoyé pour lui rendre témoignage

C’est donc de lui qu’il nous faut apprendre le témoignage, puisqu’il en est la figure pérenne (cf. les iconostases). Qu’est-ce qu’un témoin ?, me direz-vous, faut-il nous vêtir de poil de chameau !?!  Jean nous le dit : le témoin est un pauvre qui livre passage à l’Autre, à Plus Grand, à celui qui demeure pour les hommes et les femmes que nous sommes, Mystère. Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas… ces mots de Jean (non seulement font écho à une tradition sur le Messie, mais) sont vrais pour nous. Nous connaissons celui que nous ne connaissons pas, que nous ne pouvons « comprendre », et cet excès-même, cette incompréhensibilité, fait signe vers la source de notre joie, permet que Sa joie soit notre rempart. Précisons cette PAUVRETE du témoin de la Joie. Nous avons entendu par trois fois Jean-Baptiste face aux enquêteurs, inquiets de tout ce remue-ménage messianique en Judée, répéter cette dénégation : je ne suis pas…. Pas le Messie ; ni Elie, ni le Grand Prophète, ce nouveau Moïse attendu. Et nous ? Si souvent nous voulons être quelqu’un… Si souvent nous nous prenons les pieds dans ce tapis, et tombons dans tristesse. Or il y a une joie à n’être pas, pour livrer passage à Celui qui est.  C’est la joie profonde d’être créature que le serpent a tuée en nous, qui laisse Dieu être Dieu en moi, mon Créateur et Seigneur. Ce que la figure de l’Enfant nous propose comme un avenir, notre avenir filial.

Je vous laisse en développant cette troisième harmonique de la joie : elle est (le) DON. Notre temps qui cherche le bonheur dans le rassasiement, est ici pris à contrepied : cette culture du ‘je consomme/je possède donc je suis’, s’angoisse ou s’attriste de n’avoir pas assez. La joie ne s’achète pas. Elle ne s’achète pas… mais on peut la donner. Même quand on ne l’a pas, ou si peu. Et c’est en la donnant –gratuitement- qu’on la reçoit –gratuitement !  Paradoxe ordinaire de l’être chrétien. Il suffit d’un rien pour faire naître la joie, dès lors qu’il est signé de l’A-autre, partagé, ouvert. Nous voici au seuil de l’Eucharistie : un rien de pain – un peu de vin, signés de l’Autre, Parole d’Amour donnant sa Vie pour notre Joie, en libérer la Source, dans un MERCI.

Alors en ces derniers jours de l’Avent, ne courrons pas trop après les victuailles et les cadeaux, descendons dans le SILENCE avec Marie pour accueillir la Parole, la Joie qui veut jaillir en nous ; descendons à Béthanie, Beit ‘ani, la maison du pauvre, pour devenir ATTENTE, ACCEUIL de Celui qui est.  Fille de cette pauvreté, la joie, est spacieuse : nous le savons bien, pour avoir fait –un peu-  avec st Benoît l’expérience du « cœur qui se dilate », qui devient ESPACE, HOSPITALITE pour tous les pauvres, les attristés, les assoiffés de Joie, dans ce monde blessé dont notre joie porte la blessure. Car nous sommes faits pour cette joie-là, immense, cette ekstase de Joie qui est Dieu : l’amour, l’amitié la fraternité sont des manières de vivre, d’expérimenter ce bonheur sorti de soi et trouvé dans l’autre, un plaisir « altéré » (marque et désir de l’autre), que signe la joie.

Viens Seigneur Jésus réveiller notre joie. Amen, Maranatha !