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Abbaye Notre Dame d Acey

Homélie de Mgr Jean-Luc Garin pour le 2e Dimanche de Pâques, Dimanche de la Divine Miséricorde (24 avril 2022)

Lectures : Actes des Apôtres 5, 12-16 ; Apocalypse 1, 9-11a.12-13.17-19 ; Evangile selon saint Jean 20, 19-31

Dimanche 24 avril 2022

2ème dimanche de Pâques

Dimanche de la Divine Miséricorde

Les 40 jours qui espacent la résurrection du Seigneur à son Ascension à la droite du Père sont un temps de grâce. Ces 40 jours sont comme un temps de retraite au Cénacle, pendant lesquels le Ressuscité se manifeste à ses apôtres. Le Seigneur donne ses ultimes enseignements, leur demandant de ne pas quitter Jérusalem avant d’avoir reçu l’Esprit-Saint, il les enseigne au sujet du Royaume des Cieux (Ac 1,3), il ouvre leur esprit à l’intelligence des Écritures (Lc 24,28.45).

Devenir missionnaires de la Miséricorde divine

Nous voyons dans l’évangile d’aujourd’hui, en ce dimanche de la miséricorde, que le Ressuscité transforme ses disciples en missionnaires de la Miséricorde : « Recevez l’Esprit Saint.  À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

Quelle audace du Seigneur ! … Comment Jésus peut-il confier le ministère de la miséricorde à ceux qui, quelques jours auparavant, étaient encore enlisés dans le péché ! Ils se disputaient au cours du repas pascal pour savoir qui était le plus grand, promettaient de jamais renier leur maître, pour finalement l’abandonner le soir du jeudi saint !

Saint Jean Chrysostome nous livre le secret de la pédagogie du Seigneur :

Comment oserais-je m’approcher du Christ, moi pécheur, démesurément pécheur, dont les péchés sont plus nombreux que le sable de la mer ? Il est tout ce qu’il y a de pur, et moi, de plus impur… C’est pour cela que Dieu m’a donné ces apôtres, qui sont des hommes et des pécheurs, et de très grands pécheurs, qui ont appris en eux-mêmes et par leur propre expérience à quel point ils devaient être miséricordieux envers les autres. Coupables de grandes fautes, ils accorderont aux grandes fautes un facile pardon et ils nous rendront la mesure dont on s’est servi envers eux. L’apôtre Pierre a commis un grand péché, peut-être même n’y en-t-il pas de plus grand. Il en a reçu un pardon aussi prompt que facile, à tel point qu’il n’a rien perdu du privilège de sa primauté. […] Pierre et Paul sont nos maîtres : ils ont pleinement appris du seul Maître de tous les hommes les chemins de la vie, et ils nous instruisent encore aujourd’hui.

Oui, pour chacun des apôtres, la rencontre avec le Ressuscité a été une expérience de miséricorde, une expérience de salut. Lorsque le Ressuscité prend l’initiative de venir au milieu des apôtres s’accomplit la parabole du Père qui vient à la rencontre du fils perdu ; lorsque le Christ prend l’initiative de venir au milieu des apôtres, s’accomplit la parole du bon berger qui va rechercher la brebis perdue. En ce dimanche de la miséricorde, les apôtres prennent la mesure dont le Seigneur s’est servi pour eux afin que désormais, ils s’en servent pour les autres. Ce sera leur mission, le « mandat missionnaire » que le Christ leur confie. « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. ». En recevant l’Esprit-Saint, les apôtres sont chargés de continuer à annoncer l’amour miséricordieux du Père. C’est la mission que recevra aussi Sainte Faustine en son temps, comme c’est la mission de chacun d’entre nous aujourd’hui.

Nous sommes le Jumeau de Thomas

Au milieu du récit apparaît la figure de Thomas. Il n’était pas là le jour de la résurrection. Les apôtres se sont verrouillés dans le Cénacle par peur des juifs (Jn 20,19), mais ils sont probablement paralysés par leur propre peur… Thomas, lui n’est pas avec eux. Pourquoi ? Où est-il ? Qu’est-il en train de faire ? l’évangile ne le dit pas…

Dans les trois passages où il est question de l’apôtre Thomas dans l’évangile de Jean, l’évangéliste précise à chaque fois que Thomas est surnommé Didyme, c’est-à-dire « jumeau », sans qu’il soit précisé de qui Thomas est le jumeau.

De qui Thomas est-il le jumeau ? Sans doute chacun d’entre nous…

Nous ressemblons à Thomas, nous n’étions pas là le jour de la Résurrection…

Nous ressemblons à Thomas car, comme lui, c’est par le témoignage de l’Église que nous recevons l’annonce de la Résurrection.

Nous ressemblons à Thomas, car, peut-être, comme lui, nous peinons à croire au mystère de la Résurrection de Jésus. Il y a quelques années, un sondage montrait que seul 58 % des personnes se déclarant catholiques croient en la résurrection du Christ ; et un tiers des pratiquants se disent sceptiques par rapport à la résurrection de Jésus.

Nous ressemblons à Thomas, peut-être aussi parce que, même si notre foi est hésitante, nous faisons confiance à l’Église, nous demeurons en son sein, en attendant que le Seigneur nous fasse la grâce de se révèler à nous.

Imaginons la scène, frères et sœurs… Pendant 8 jours, Thomas va résister au patient témoignage de ses frères jusqu’à ce qu’il fasse lui-même l’expérience de la présence du Seigneur !

Pendant la toute première des Octaves pascales, Thomas est resté fermé au témoignage enthousiaste de ses frères qui lui témoignaient que le Seigneur était vraiment ressuscité. Pendant une semaine, Thomas a campé sur ses positions, demandant de pouvoir toucher les plaies du Seigneur pour les croire. Huit jours de combat spirituel, de résistances, d’incrédulité, où le « nous » ecclésial, « NOUS avons vu le Seigneur », se heurte à l’expérience personnelle et libre de Thomas : « Si JE ne vois pas, si JE ne mets pas mon doigt… JE ne croirai pas ! » Il lui fallait une évidence absolue, physique de l’identité entre le Christ mort sur la Croix et le Ressuscité. 

Je me demande bien comment ils ont fait pour se supporter huit jours ! comment ont-ils pu prier ensemble, manger ensemble, discuter ensemble alors qu’ils étaient dix contre un… Il y a pourtant quelque chose de très beau, car le témoignage de l’Église tient bon malgré les hésitations de Thomas. La foi défaillante de l’un d’entre eux n’a pas fait chanceler la foi des autres. Les apôtres ont continué à vivre en frères avec Thomas, ont fait preuve de patience, de compréhension en envers lui. Il y avait suffisamment d’amitié et de respect pour que Thomas ne quitte pas l’Église. Il y a peut-être à puiser dans cette Église primitive de l’Octave pascale dans laquelle il y a suffisamment de fraternité pour conjuguer la fidélité et la solidité de son témoignage, tout en accompagnant le laborieux chemin de foi de l’un des sien.

« Mon Seigneur et mon Dieu ».

Mais si nous sommes le jumeau de nos Thomas dans nos hésitations et dans nos doutes, nous sommes surtout appelés à devenir son jumeau et à lui ressembler traits pour traits dans sa profession de foi ! « Mon Seigneur et mon Dieu ».

C’est en contemplant les plaies du Christ Ressuscité que Thomas est guéri de son incrédulité. L’apôtre Pierre en a fait aussi l’expérience, lorsque dans la première épître, il nous livre son témoignage : « Par ses blessures, nous sommes guéris » (1 P 2,24). C’est aussi en contemplant les plaies du Seigneur que Thomas trouve la guérison et la paix. Des siècles plus tard l’expérience de Saint Ignace de Loyola fera la même expérience : « Passion du Christ fortifie-moi, ô bon Jésus exauce-moi, dans tes blessures cache-moi, ne permets pas que je sois séparé de toi ».

En entrant, dans quelques instants dans le mystère de l’Eucharistie, c’est à nouveau le corps crucifié et ressuscité de Jésus que nous touchons. « Mon Seigneur et Mon Dieu ». C’est souvent la prière qui jaillit de nos cœurs lorsque nous contemplons les Corps et le Sang du Seigneur.


Thomas a touché le corps ressuscité marqué par les plaies de la passion. Dans un instant, c’est le même mystère qui se réalise dans l’eucharistie : nous allons toucher le corps livré, boire son sang versé du Ressuscité… Nous allons revivre intensément la béatitude : « heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Nous pourrons nous souvenir d’une strophe de l’hymne eucharistique de l’adoro te devote avec laquelle je conclus :

            Tes plaies, tel Thomas, moi je ne les vois pas,
            Mon Dieu, cependant, tu l’es, je le confesse,
            Fais que, toujours davantage, en toi je croie,
            Je place mon espérance, je t’aime.