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Abbaye Notre Dame d Acey

Évocation de Frère François lors de la veillée de prière lundi de Pentecôte – 29 mai.

Notre Frère François naît à Dijon le 26 mai 1931, dans l’ancienne capitale des Ducs de Bourgogne. Il y est aussi baptisé dès le lendemain, en l’église Saint-Joseph, et reçoit les prénoms de François-Xavier, Bernard, Marie, où se dessinent sans qu’il le sache sa vocation cistercienne et apostolique. Trois aînés le précèdent dans la fratrie Etienne, Jacques, et Marie-Claude. Il reçoit de ses parents, Bernard Briotet et Juliette Gelin un solide ancrage dans la foi, et des racines familiales qui plongent profondément entre Dijon, Fixin et Saussey – dans cette terre bourguignonne généreuse et illustre pour ses grands crus.

Mais la famille est marquée très tôt par un drame, qui laissera au cœur de notre frère, une blessure inguérissable. La maman décède peu après avoir mis au monde le petit dernier de la fratrie, Henri. François n’a que deux ans et devra vivre prématurément sevré de la douceur et du souvenir maternels. Les enfants sont recueillis à Fixin, élevés par leur grand-mère, et surtout par leur tante Suzanne. La scolarité, un peu perturbée par la guerre, se déroule entre Saussey et le pensionnat du collège Saint-François à Dijon, sans générer un grand enthousiasme. Il ne tarde pas à préférer aux études classiques un brevet technique d’électricité, et surtout les parties de pêche au Vernois avec son cadet, prélude odoriférant à la messe dominicale en soutane rouge et surplis d’enfant de chœur. Il commence aussi son initiation à la culture viticole, et à la mécanique.

Et voilà que sa foi s’effiloche, insatisfaite et minée de questions irrésolues, pour ne laisser subsister, malgré l’héritage familial du rituel dominical et un vernis de morale chrétienne, que l’horizon des choses de la terre. Mais le Ciel avait ses vues. François n’a pas encore 20 ans, quand il consent, sur les instances de son oncle Pierre, et, au fond, insatisfait de lui-même et de sa tiédeur spirituelle, à faire une retraite ignacienne des « cinq jours », à Cîteaux, au début de 1951. Est-ce l’esprit qui plane en ce lieu ? Est-ce l’intercession de son aïeul François Trouvé, dernier abbé de Cîteaux avant la Révolution ?. Quoi qu’il en soit, au 4e jour, pendant le chemin de Croix, en un instant, les mots de cette foi qu’ils considérait avec autant de bienveillance que d’indifférence, prennent vie, le Feu de l’Amour Divin le saisit et le bouleverse, et c’est tout le mystère chrétien qui s’illumine. Une Joie profonde, inconnue jusqu’alors, l’envahit, et pendant plusieurs mois, il vit « le Ciel sur la terre ». Pour autant, il n’a rien d’un exalté et écrit à son oncle, notre Père René, n’avoir jamais eu les deux pieds sur terre comme à présent. Il entretiendra précieusement la mémoire de cette grâce décisive qui inaugure un contact vivant avec la Parole de Dieu, et une grande dévotion à la Sainte-Vierge, les deux piliers de sa vie de foi.

Il a désormais un seul désir : répondre à l’Amour, donner sa vie à Celui qui s’est manifesté si sensiblement, sans aucun mérite de sa part. Les 15 mois du service militaire dans les F.F.A., en Allemagne, d’octobre 1951 au printemps 1953, muriront le discernement d’une vocation monastique qui répond à son désir missionnaire, sans exiger les qualités de prédication dont il se sait dépourvu. Il entretient une correspondance précieuse avec P. René, et noue dès cette époque un compagnonnage, une amitié spirituelle même, avec la Petite Thérèse.

Le 26 avril 1953 il rentre à Acey, laissant derrière lui une vigne à Fixin, un fusil de chasse, une montre en or, et un vélomoteur (il en trouvera bientôt un autre) ! Deux Briotet l’ont précédé : son frère Jacques, entré 3 ans plus tôt, et l’oncle René, donc, qui, comme maître des novices, sera chargé de former ses deux neveux, aux tempérament aussi contrastés que le permet la plus grande proximité génétique. F. François fait profession temporaire à la Toussaint 1955 et prononce ses vœux solennels 3 ans plus tard, le 1er novembre 1958… comme frère convers. Et il demeurera viscéralement attaché à ce statut, y compris après en avoir été « spolié » par le décret d’unification entre choristes et convers, au lendemain du concile Vatican II. Il ne manquera jamais l’occasion de rappeler auprès de ses abbés successifs sa vocation à une vie plus simple, où la prière irrigue en profondeur le travail manuel, selon un horaire adapté.

Pour le travail, François est aussi travailleur que pouvait l’être son frère, F. Laurent, mais le soin et la conscience professionnelle s’accompagne chez lui d’une liberté intérieure qui échappait à son aîné, lequel savait à l’occasion lui rappeler les exigences des us et coutumes monastiques.

Son premier emploi est à la ferme, activité économique essentielle pour la communauté à l’époque. Bientôt chef de culture, il s’y donne généreusement pendant presque 30 ans, et prend en pionnier le tournant de la culture biologique, dans un souci de l’équilibre naturel qui s’enracine dans de solides convictions spirituelles et bibliques. Il noue ainsi des relations durables avec de nombreux agriculteurs dans un périmètre qui… élargissait considérablement la clôture monastique ! C’est d’ailleurs par le réseau des pionniers de l’agriculture « biologique » qu’il entrera en contact avec une communauté évangélique où l’on reconnaît en lui un born again, re-né par la grâce de l’Esprit. Il faut s’arrêter un instant sur cette note charismatique, au sens le plus authentique du terme, qui marque sa vocation monastique. Il entretiendra cette flamme en participant régulièrement à des rassemblements, alors même que le Renouveau est encore balbutiant en France. Le tunnel de Fourvière a ainsi vu le passage -et la chute ! – de sa fidèle mobylette sur la route de Gagnière, dans le Gard. Sensible au semences nouvelles de l’Esprit il est en lien avec plusieurs communautés : outre les Sœurs Evangéliques de Marie à Darmstadt, la Communauté chrétienne du Verger de Jacob à Savigny, ou encore la Fraternité Sitio qui naît à Fénay ; il s’abonne à Feu et Lumière. Sa liturgie de convers charismatique (sans négliger les principaux offices communautaires, puisqu’il fera même partie de la schola) est assez éclectique pour faire place tant au rosaire qu’aux chants de l’Emmanuel, qu’il aimer déchiffrer sur sa flûte au petit matin. Sans oublier cet autre pilier de la prière monastique de la lectio, une fréquentation chez lui vraiment assidue et amoureuse de l’Ecriture sainte. C’est toute sa vie spirituelle qui est aimantée par la recherche de docilité à l’Esprit saint, dont il recevra l’effusion en pleine célébration de l’Eucharistie communautaire à Acey en 1974. Les frères n’y ont vu que du feu !

Il faut dire que sa liberté doit parfois plus à son caractère indépendant qu’à l’Esprit, et se fait volontiers critique, parfois frondeuse, à l’occasion rebelle, même. Les voutes du cloître gardent mémoire d’un éclat qui l’avait opposé au Père abbé de l’époque, et qui lui vaudra d’être débarqué prématurément de sa nouvelle charge de cellérier, pour laquelle il n’était sans doute pas fait. Outre les légumes François cultive aussi un humour volontiers caustique, qui s’exprime dans des expressions bien à lui qui ont le don d’interpeler le frère trop enhardi : « Oh bin y’a longtemps que je connais tout ça ! ».

Après la ferme, F. François travaillera quelque temps à l’atelier d’électrolyse, à la maintenance, où son sens pratique, ses talents de soudeur, et son génie du bricolage font merveille. Car c’est un véritable charisme, une passion en tout cas, depuis l’enfance : comprendre les mécanismes -avec les mains !-, démonter, remonter, quitte à oublier une pièce en route – inutile, puisque ça marche quand même ! : des montres, aux appareils électriques les plus divers, rien ne résiste à sa curiosité, mais aussi à son sens du service pour ses frères. Bien des fois, il a fallu quelque intervention angélique pour préserver de l’incendie ou du court-circuit fatal sa chambre ou un atelier de fortune. François assume d’ailleurs longtemps la charge de la turbine, la responsabilité de l’électricité dans la maison, et initié par son Oncle René, il reprendra la cordonnerie, chaussant avec soin ses frères, ou fabricant avec art les ceintures monastiques en cuir.

En 1986, Dom Hervé le nomme à la cuisine, qu’il tiendra vaillamment pendant 20 ans. Il ne prend pas cette affectation à la légère et, pour se former, ira au Mont-des-Cats en apprendre les rudiments avant de succéder à F. Emile. Il se montrera un cuisinier attentionné, conscient de l’importance de l’assiette pour le moral des frères, mais toujours avec un vrai sens de l’économie, tirant profit de tous les produits du jardin. Les patates sont ainsi mises à contribution à peu près tous les jours, mais sous des apparences culinaires variées. Surtout, l’ex-maréchal des logis tient ses batteries de casseroles et sa cuisine dans un ordre et une propreté impeccables ! Le grain de liberté de notre frère se manifeste plutôt dans les virées d’approvisionnement –où le pain bio d’Auxonne, ou le fromage à goûter, sont surtout l’occasion d’entretenir des relations amicales.

Après avoir été relevé à la cuisine, François aura plus de temps pour de longues promenades qu’il affectionne. Il conserve son sacerdoce de cordonnier, et surtout, celui de caviste au long cours, racines bourguignonnes obligent ! qui lui feront encore apprécier le Fixin de ses 90 ans. Mais à partir de 2016, ce n’est pas seulement la sobria ebrietas de l’Esprit, ce sont les premiers symptômes d’Alzheimer qui s’annoncent. En 2019, il devient nécessaire de le faire descendre à l’infirmerie : rupture cruelle pour son indépendance. Pourtant, il vivra les années du grand dépouillement avec un bel abandon acquis pied à pied, d’autant que Parkinson s’en mêle.

Ultime étape, ultime don : celui de donner de donner. Frère Philippe saura développer des trésors d’attention et de patience. Dans la bouche de François les mots perdent peu à peu leur cohérence, sans mettre en vacance l’humour, adouci, avec son caractère. Une présence féminine participe à cette douceur avec l’aide de Monique, Eliane, Marie-France, Violaine. Gilles se joignant bientôt aux saintes femmes. Le périmètre des promenades se rétrécit : du jardin, au cloître, enfin quelques pas dans le couloir, mais toujours avec une station pour honorer sa Mère du Ciel : « Marie me donne tout ce que je lui demande, disait-il volontiers. Mais elle me le donne petitement, pour que je ne m’en enorgueillisse pas. »

Il y a 8 jours François ne se lève pas pour la messe du dimanche. Mercredi, avant-veille de son 92e anniversaire, il reçoit le sacrement des malades, et peut communier. Il s’éteint paisiblement, samedi à l’aube, au seuil de cette fête de Pentecôte, recevant avec un peu d’avance l’ultime Baiser, l’Esprit de Résurrection.

Je ne résiste pas à le citer au terme de cette évocation, à travers ce qu’il écrivait à son jeune abbé en 1977 :

Qui s’abandonne sans restriction à l’action de l’Esprit, des horizons illimités s’ouvrent devant lui et la puissance de l’Esprit, qu’il reçoit dans la mesure où il l’accepte, rejaillit sur ses frères, même si lui-même en reste inconscient.

AMEN, cher Frère François, que l’Esprit qui t’a oint, qui te comble aujourd’hui, ouvre en nos cœurs et pour notre communauté des horizons nouveaux !